Article paru sur le site Le Point.fr le 03/02/2011 par Pauline de Saint Rémy: http://www.lepoint.fr/economie/les-cadres-liberes-par-leurs-smartphones-03-02-2011-135287_28.php

« Checker sa boîte pro », envoyer un « petit texto » entre le fromage et le dessert, rester connecté en permanence, y compris les week-ends… Un temps considéré comme de la frime, un excès de zèle ou une forme d’aliénation, ce genre d’attitude s’est très largement banalisé. Rares sont les cadres aujourd’hui qui ne disposent pas des moyens technologiques nécessaires pour travailler en plus de leurs horaires habituels. Mais, contrairement à une idée reçue, cette évolution, qui rend la frontière de plus en plus en plus poreuse entre vie professionnelle et vie privée, n’est pas si mal vécue par les premiers concernés.

Selon un récent sondage OpinionWay pour les éditions Tissot, 73 % des cadres équipés d’un outil de connexion à distance – type BlackBerry, smartphone et autres tablettes – affirment travailler en dehors de leurs heures de bureau. Chez eux, dans les transports, pendant leurs RTT, mais aussi, pour certains, pendant leurs congés maladie… Plus surprenant : les cadres sont presque autant (72 %) à se sentir « libérés » par la technologie, car ils estiment qu’elle les rend « plus responsables et épanouis dans la gestion de leur temps ». Seuls un quart d’entre eux se sentent à l’inverse « aliénés », considérant qu’Internet « fait insidieusement pénétrer le travail dans leur vie personnelle ».

Astuces

Pour Mathilde Bourrier, directrice du département de sociologie à l’université de Genève, ces chiffres s’expliquent par la forte capacité des cadres à « se protéger ». « Certains vont se sentir suivis, traqués. Notamment lorsque le BlackBerry ou l’ordinateur portable est à la charge de l’entreprise, cela crée une pression supplémentaire », explique-t-elle. « Mais en réalité, les études sociologiques montrent que les cadres s’en fichent très souvent. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit de la catégorie où le plus de personnes considèrent leur travail comme une composante du bonheur. Ils sont souvent assez épanouis. Donc ils apprennent à vivre avec ces outils, ils mettent en place des stratégies, ils sont astucieux… »

Les cadres sont, en effet, les premiers à tourner ces nouvelles « contraintes » technologiques à leur avantage, en faisant entrer la vie privée au bureau : presque 80 % d’entre eux disent se servir d’Internet lorsqu’ils sont au travail, soit deux fois plus en moyenne que chez les salariés non-cadres, du public comme du privé. L’immense majorité reconnaît, en effet, volontiers surfer sur des sites d’information, d’achats en ligne ou encore des réseaux sociaux au travail. Une façon, donc, de mettre à profit les évolutions de leur métier.

Reste un effet pervers de cette porosité : d’un côté, Internet « libère » et permet d’être plus organisé, en faisant, par exemple, des courses sans sortir de son bureau ; de l’autre, le mélange des genres et le « toujours connecté » augmentent le « culte de l’urgence » et le sentiment d’être débordé. D’où l’émergence, pour l’instant marginale, d’une nouvelle tendance, comme s’en amuse Mathilde Bourrier : « À une époque, c’était un signe de distinction d’avoir son téléphone professionnel branché en permanence. Aujourd’hui, le chic serait plutôt de ne pas en avoir… » Avis aux chasseurs de tendances, donc : pour être in aujourd’hui, mieux vaut être out.