Pour débuter ce blog, il me semble important de poser la question de la distinction entre non-connexion et déconnexion.
Lorsque je parle de mon sujet de recherche, très souvent et spontanément, on me dit : « ha ! oui, je connais Untel qui n’a pas Internet chez lui » ou « mon collègue refuse d’avoir un portable, c’est un choix », ou encore « avant de penser à se déconnecter, encore faut-il avoir les moyens de se connecter ». Ces témoignages renvoient à la non-connexion, au non-usage, à la non-expérience directe des TIC. Pour des raisons économiques ou culturelles, de façon volontaire ou subie, il y a non accès à certaines technologies.

La déconnexion, elle, implique au contraire une connexion préalable. Pas de déconnexion sans connexion. L’accès doit donc être possible et l’expérience des TIC d’abord vécue pour parler de déconnexion. Et c’est précisément cette expérience qui amène certains à décider de se déconnecter, au moins partiellement.
Mais cette distinction est-elle aussi simple ?

1. La non-connexion
La notion de non-connexion paraît semble aller de soi parce que basée sur une dichotomie simple (accès/non-accès aux réseaux et aux terminaux. Elle est à la fois la plus travaillée parce que renvoyant à un marché potentiel (les non-usagers à convaincre : donc beaucoup d’études financées par les opérateurs et fabricants sur la résistance à l’adoption de l’innovation) et la plus dénoncée, parce que renvoyant à une inégalité au nom d’une vision égalitaire de l’accès (la « fracture numérique » entre les « info-riches » et les « info-pauvres : donc beaucoup de statistiques ici, généralement financées par l’État et les collectivités locales).
La question posée est presque toujours : « qu’est-ce qui, économiquement, culturellement, pratiquement, freine l’usage ? ». Et derrière cette question, sans que cela ne soit réellement discuté, la normalité à atteindre est toujours l’adoption.
De façon classique, le taux d’équipement est corrélé avec l’âge (par exemple, en 2009, 98 % des 18-24 ans ont un téléphone portable en France contre seulement 42 % des plus de 70 ans) ou avec le niveau d’étude (94 % des personnes ayant un diplôme du supérieur ont sont équipé d’un ordinateur à domicile contre seulement 40 % de ceux qui n’ont pas de diplôme) ou encore selon le revenu (94 % des personnes ayant un revenu mensuel supérieur à 3100 $ ont un ordinateur à domicile contre seulement 48 % de ceux qui ont un revenu inférieur à 900 $).
Mais depuis quelques années, au fur et à mesure que les taux d’équipement augmentent, c’est moins en terme d’inégalités liées à l’accès que le problème est posé qu’en terme de
compétences. Par exemple, 86 % des 18-24 ans se disent compétents pour utiliser un ordinateur contre seulement 45 % des 40-59 ans et 12 % des plus de 70 ans, ou alors 76 % de ceux qui ont un diplôme du supérieur se disent compétents contre seulement 18 % de ceux qui n’ont aucun diplôme, etc.
Mais, que ce soit donc en terme d’accès ou de compétences mobilisées, la question finalement la même : comment encourager la connexion universelle et faire que ceux qui sont connectés s’en servent ?
Pourtant, il y a ceux qui ont les moyens financiers et qui refusent d’avoir accès à ces technologies. Et il y a ceux chez qui tout prouve qu’ils ont toutes les compétences pour s’en servir, mais ne le font pas. Il y a donc une catégorie de non-connectés qui échappe à ce que Rogers, dès son ouvrage phare sur la diffusion des innovations (1962), appelait les « retardataires ». Tous les non-connectés ne sont pas pauvres, isolés, incompétents ou retardataires. Il y a une minorité de personnes qui décident de ne pas se connecter et, comme l’écrivait Laulan en 1985, de « résister aux innovations technologiques qui leur sont faites ».
Toute la question est évidemment de savoir pourquoi et de quoi est faite cette résistance. Je lance donc un premier appel à nourrir une nouvelle catégorie analytique : les non-connectés volontaires. À part les Amishs ou les Mennonistes, il existe des individus qui décident de se passer de ces techniques : a minima, ils nous apprennent donc qu’il est encore possible de vivre sans… Qui sont-ils, comment font-ils, quelles sont leurs motivations ? Je n’ai quasiment rien lu dessus. On peut donc faire une entrée thématique sur ce thème et je pense que, peut-être via ce blog, nous recueillerons pas mal de témoignages.

2. La déconnexion

Si vous faites une recherche sur le mot déconnexion, vous allez tomber, à 95 % sur une présentation de la déconnexion comme un problème technique : il y a déconnexion quand « ça » coupe. Le réseau ne passe pas, plus de batteries, plus de forfait, ça coupe…

Ce n’est pas ce côté subit qui nous intéresse, mais la déconnexion volontaire, fruit d’un choix. Et ce sont les formes et les raisons de ce choix qui nous sont à la base de notre travail. Voir notre projet… Mais, ici aussi, il est des cas qui échappent à cette catégorisation : ceux qui se déconnectent sans qu’il s’agisse ni d’un accident technique, ni d’une décision volontaire. Je pense avant tout au « burn-out », au « pétage de plombs » dus à une surchauffe informationnelle insupportable. Entrant dans un  véritable état de catalepsie, certains démissionnent des TIC par overdose communicationnelle pour tomber dans un vide apathique.

Il s’agit de quelques cas extrêmes sans doute, mais certainement très significatifs. Je propose donc, ici aussi, d’ouvrir une nouvelle catégorie analytique de déconnexion par overdose.
L’idée est que, peu à peu, nous dégagions un certain nombre de mots clefs autour desquels nous pourrons accumuler un maximum d’informations, de témoignages, de références et études. En voilà donc déjà deux portés à votre avis : les non-connectés volontaires (en regard de la non-connexion subie), et la déconnexion par overdose (en regard de la déconnexion volontaire).